.net .truc a écrit:Une question de fond.
Une énigme vivante
Sommes-nous seuls dans l’univers ? Pourquoi y’a-t-il quelque chose plutôt que rien ? Existe-t-il une cause première ?
Des questions fondamentales, auxquelles personne n’aura surement jamais de réponse, et qui en côtoient une autre, toute aussi primordiale : le Roi Heenok est-il une vaste blague conçue par une équipe marketing surdouée ou au contraire le produit d’un authentique demi autiste relayé par des débiles ?
En contemplant l’oeuvre du Roi dans sa globalité, la thèse de la mystification marketing semblait s’imposer d’elle-même : une telle concentration de connerie, qu’il s’agisse du producteur ou des consommateurs, devait forcément relever à un moment ou un autre de l’artifice. Même le dernier des misanthropes gardait au fond de lui, face à l’ampleur de la catastrophe, un doute quand à la véracité d’un pareil naufrage.
Le temps et la multiplication des supports (qu’il s’agisse du DVD publié par kourtrajmé ou de sa récente arrestation [lien]) ont fait s’effriter, telle une barrette d’hydroponique, cette charitable quasi-certitude. Mystifier l’équivalent canadien du GIGN semble quand même hors de portée d’une équipe de marketeux, même chargée de coke à ras les narines.
Pourrait-il s’agir d’un authentique gangster et gentleman ?
Le Roi Heenok croit-il vraiment à son oeuvre, et par extension que penser du prétendu "second degré" affiché par tous ses fanatiques ?
Désireux d’en avoir le coeur net, une équipe d’investigation s’est rendue sur place (poussant pour certain le souci du détail jusqu’à revêtir un chandail "DJ Soké", et créant un pont spatio-temporel inédit entre Nordybon et la Rive Sud) lors de son concert au Point Ephémère.
"Jean Dujardin imitant le dromadaire"
Un public de guignols
Le premier mystère ("mais qui donc peut bien se déplacer pour voir le Roi Heenok en concert ?") (("à part nous mais c’est pas pareil")) trouve sa réponse dès les premières minutes : un public mêlé, du moins dans ses débuts, d’un tiers de demi racailles à capuche (leur présence étant sans doute expliquée par les trois premières parties, assurées par des groupes représentant le neuf cube) et de deux bons tiers de pignolos dont les faces poupines hurlent tels des phares déchirant la nuit leur appartenance ovine au mouvement « facebook – youtube – canal+ ».
Preuve s’il en fallait une de la puissance invincible du mélange de méchanceté et de voyeurisme qui fait les beaux jours de l’interweb, la salle est bien remplie, et ce malgré le tarif élevé de l’entrée. Une masse dense d’abrutis hip-hop (on est aux limites du cosplay) se fait "chauffer" par un gros jambon en chandail de basket violet qui a visiblement relu son texte 30 secondes avant de monter sur scène. Répétant inlassablement deux gimmicks crypto-heenokiens ("bordéliquement chaud" et "ca va devenir vrai") pour motiver une foule jugée "pas assez chaude", il introduit laborieusement les premières parties.
Jusqu’ou irait un groupe de peu-ra pour faire un concert.
Un cliché flatteur
Si cette enquête doit permettre de résoudre son lot de mystères, elle apporte aussi sa part de questions : à quel moment, et pourquoi , quand on est un groupe de "rap de banlieue" ultra caricatural et se voulant sérieux comme une descente de la B.A.C. peut-on accepter de faire la première partie d’un spectacle de carnaval comme celui du Roi Heenok ?
Victimes de l’impatience à peine contenue des hordes de l’internet, les premières parties doivent faire face à une hostilité grandissante et non dissimulée. La foule scande un "libérez le roi !" massif, d’abord entre chaque morceau, puis bientôt pendant chaque morceau. Arrivée la troisième première partie (le duo "Double Je", parfois musicalement proche de Manau bien que proposant des moments assez sympathiques [lien]) la capacité d’attention du fanatique moyen atteint ses limites et le groupe en est réduit à faire la promo du Roi pour empêcher le public de déglinguer son set.
Remplacer "mon groupe est dans la place" par "le Roi Heenok est dans les loges", juste pour ne pas se faire vider par une bande de puceaux, voilà le sommet d’une carrière.
Si ca c’est pas de la tristesse.
Interlude
Fin du set, retour du gros jambon violet ghetto ambianceur.
Malgré le retard sur l’horaire, il juge le public toujours inférieur à la température nécessaire pour couvrir ce qui ressemble clairement à une embrouille backstage. Un DJ en mousse monte sur scène, passe de la merde, se fait huer. Des "CASSE-TOI ! CASSE-TOI !" rythment chaque intervention du jambon violet. Le matériel reçoit des jets de gobelets.
Bonne ambiance.
Vingt bonnes minutes de flottement permettent de faire un rapide tour d’horizon qui confirme une impression diffuse : oui, la salle est remplie de connards.
Parti à l’assaut du premier rang pour prendre des photos, on se retrouve coincé entre un grand trou de cul à coupe afro qui hurle non stop "on s’en fout on veut le roi !" en agitant sa main comme un épileptique, son pote D&G aux lunettes miroirs et à la gueule de con, des gamins hystériques dont c’est sans doute le premier concert, etc. Mais qu’est-ce qui se putain d’passe ?
Entrée en scène
L’attente (inter)minable s’achève sur l’entrée fort peu théâtrale d’une espèce de type : blouson pourri, bonnet de nain de jardin, attitude voûtée, médaillon qui touche à son pénis. Envoi du premier morceau, vivas extatiques dans le public.
Première énigme résolue : le Roi Heenok existe pour de bon, la thèse de l’image de synthèse vole en éclats.
Premier constat : on dirait vraiment un SDF.
Ca envoie.
Au coeur de l’enfer
Au premier rang du public c’est rapidement la guerre. Fait incroyable et tout à fait inquiétant, une majorité du public connait les paroles par coeur. Toutes les paroles.
Les joyeux déconneurs égrenant des "BLLAAH" de circonstance en se bidonnant semblent en retrait face aux amateurs authentiques, déchaînés par les passages du Roi serrant les mains de ses putes nègres (et manquant au passage par deux fois de se casser la gueule).
Nouvelle question soulevée par cette enquête : on sait tous ici qu’il est possible de pousser trop loin le second degré, cette rangée de CDs d’import d’Ayumi en est le vibrant témoignage. Mais même avec ça ?
La "balance des noirs" de photoshop s'est automatiquement transformée en "balance des négros t'entends?"
Sur scène par contre c’est rapidement la débâcle.
Originalité sans doute unique, le DJ du Roi Heenok ne passe pas les instrus des morceaux, mais bien les morceaux eux-mêmes : le beat et la voix. Sorte de renouveau du playback, le Roi Heenok se double lui-même. D’abord avec entrain, pendant les premiers morceaux qui sont réellement rigolos : malgré un jeu de scène limité à "se pencher en avant", le Roi entraîne une foule déjà conquise qui alterne les signes de gang farfelus en braillant "rap iso" et autres extraits d'interviews. Passé le premier quart d’heure, comme prévu la tension retombe, mais la ou le job d’un vrai groupe serait de garder la pression, le Roi s’effondre comme un vieux sac.
MC clochard
Le Roi au plus bas
Petit à petit, furtivement, le Roi participe de moins en moins.
D’abord c'est un couplet qui saute, puis deux, remplacés par un "ouaaaais ouais". Employant la même ruse, le Roi se relève de moins en moins de sa position caractéristique "j’ai un point de côté, je vais crever sur place".
A terme c’est un bien étrange spectacle qui se donne, avec d’un côté des dizaines de débiles hyperactifs hurlant par coeur ce galimatias incompréhensible et fantasmé qu’est le corpus lyrical du gangster de la Rive Sud, et de l’autre ledit gangster replié sur lui-même, au plus bas, en position quasi foetale et semblant avoir oublié jusqu’à la présence de son micro.
Vaincue et un peu attristée par ces multiples déchéances, l’équipe de reporters hésite d’abord à partir ("si il claque sur scène et qu’on se barre avant on va avoir les nerfs") mais finit par quitter les lieux.
La vérité est ailleurs
Le constat est ainsi sans appel : on est bien loin d’un quelconque concept marketing à grande échelle. Le Roi Heenok est une authentique étrangeté, à la ramasse comme jamais personne n’a sans doute pu l’être, produisant une oeuvre étrange et unique, hors des canons du rap, du slam ou du spoken word, aux frontières de l’art brut.
Un bien étrange personnage.
Restent les questions de son entourage et de son public : quelle est parmi eux la proportion des gens qui y croient durs comme fer et de ceux qui le suivent par simple moquerie ? Dans quel état d’esprit peut-on faire sérieusement faire la première partie du Roi Heenok ? Produire son disque ? Acheter son disque ?